Après demain, le vendredi 30/04/2010 à 18h, à la libraire Artlibris ( avenue Habib Bourguiba, Salammbô), l’écrivain Mohamed Bouamoud présentera et dédicacera son nouveau roman Les années de la Honte. Il me viendra alors de vous parler de son parcours et de vous proposer une petite note de lecture qui servira comme introduction au débat avec l’auteur.

En guise d’avant-goût, je vous livre mes premières impressions sur le roman en question et vous invite à venir nombreux pour rencontrer un talent prometteur de la littérature francophone tunisienne.

Le fils du Hadj Hitler

Les années de la Honte est le troisième roman de Mohamed Bouamoud, auteur de Essayda El Mannoubyya ( 2ème prix du roman tunisien/ La Médina-Hammamet, 2008) et de Visages (prix découverte du Comar 2009).

Le roman s’ouvre sur le feu: une masure qui s’enflamme, une mère, Khira, qui sauve ses deux jumeaux de quatre ans, une fille Khédija et un garçon, Khaled (l’immortel), à la blondeur suspecte et aux yeux bleus. Parce que son troisième fils Mansour -celui qu’on propulse vainqueur- était absent ce soir-là et que l’époux de Khira, Achour, parfois père, s’est laissé cramer par les flammes.

Cette séquence d’ouverture est un souvenir, il resurgira, lorsque la mère Khira se décidera à raconter à Khaled l’histoire-fardeau de sa naissance et les raisons de son rejet par les habitants de B…., le village qui les a reçus un temps et bannis longuement.

C’est le récit d’un enfant de la honte, du viol, du mépris qui ne manquera pas de s’articuler

sur la grande Histoire, celle du débarquement des Allemands en Tunisie, de l’abdication de la France et de la rescousse des Alliés.

Les années de la Honte c’est donc d’abord cela, l’histoire d’un jeune homme née dans ces années-là, fils d’un père doublement traître qui porta l’uniforme des colons Français pour ensuite le troquer contre le salut à Hitler. Ensuite, c’est le récit des années de l’humiliation racontées par la mère Khira, agonisante sur un lit d’hôpital.

Un récit qui épouse les soubresauts de la mémoire, son caractère kaléidoscopique, qui aurait pu être délicieusement subjectif mais qui cède parfois à la chronologie des évènements et à l’objectivité qu’elle suppose.

L’auteur relate ceci et cela dans une langue personnelle, assez savoureuse, suffisamment rythmée pour tenir le lecteur en haleine et s’avère obsédé par des thématiques déjà explorées dans Visages, son roman précédent.

Les marginaux, les laissés-pour-compte, les gens du peuple, saisis voire broyés par les contextes sociaux et politiques qui les dépassent, sont de nouveau les protagonistes d’un conteur doué, à l’imagination habitée et fertile.

Un auteur qui a des choses à nous dire sur l’honneur, le patriotisme, la ruse de l’Histoire mais surtout sur l’humain, sur ses fragilités, sur ses tentations et toutes ces choses qui se passent à l’insu de sa volonté et de ses désirs.

Un tout petit regret tout de même, il me semble qu’avec Bouamoud, les cartes sont d’emblée distribuées, les dès sont déjà jetées, quelque chose d’un peu consensuel délimite le territoire des bons, des bêtes et des truands. Une traînée de valeurs qui fait que du début jusqu’à la fin les valeureux habitent leurs camp et les lâches le leur. Les lignes de démarcation, pour ainsi rappeler le contexte de la la bataille de Tunisie (8 Novembre 1942-9 Mai 1943) trame de fond du récit, semblent peu bouger …

Pourtant même à cela le lecteur cédera, emballé qu’il est par une écriture vivante, trépidante, portée par un souffle continu et jamais démenti.

Cette verve qui coule, cette sève qui nourrit, font que l’écriture de Bouamoud est la plupart du temps une déferlante de sensations, de sentiments et d’affects qui n’ignorent ni les secousses des corps, ni les tourments de l’esprit…un ton singulier, un écrivain adroit qui sculpte ses personnages dans une justesse précieuse et parions-le un futur auteur-populaire qu’il suffit de découvrir et de faire découvrir pour séduire le plus grand nombre de lecteurs parce qu’il y a dans son écriture, entre l’épopée et le récit intime, une dimension collective et fédératrice, qui nous invite à visiter notre mémoire et à abandonner l’assignation à l’amnésie, au désenchantement et au retrait.


Les Années de la Honte de Mohamed Bouamoud, Ed. Sud Éditions, Tunisie, 2010/ 156 pages /Prix: 10 DT