Le temps qui passe… / Synopsis

La voix de l’actrice Hélène Catzaras évoque son expérience artistique commune avec son défunt époux, l’acteur Ahmed Snoussi, dans Soleil des Hyènes de Ridha Béhi, film qui marqua la session des JCC 78.

Petit portrait intime et poétique du grand acteur disparu porté par la voix off de son épouse et illustré par des extraits de films et notamment par des paysages et des moments nostalgiques et tendres d’une mémoire cinéphilique qui défie l’oubli…

Le temps qui passe… / Petite note d’intention et court développement scénaristique

D’emblée, j’ai eu envie de rendre hommage aux disparus, mes compatriotes, amis et collègues qui ont participé aux heures de gloire des JCC, du cinéma tunisien et qui nous ont, hélas, quittés. Que de belles personnes m’ont fait aimer le cinéma, que de beaux films sont restés incrustés dans ma mémoire. Ces disparus, je les ai connus, parfois simplement croisés mais ils ont compté et continuent à compter parce que pour certains j’ai partagé avec eux l’expérience de la création filmique et pour d’autres, leurs films, leurs images, leurs récits sont des morceaux immortels qui continuent à m’habiter. Je ne sais plus quel philosophe de l’art présentait le cinéma comme la plus belle victoire sur la mort…

Parmi les personnes disparues et que j’ai beaucoup aimées, l’acteur et dramaturge Ahmed Snoussi. Acteur devenu célèbre dès le beau film Sejnane de Abdelatif Ben Ammar, il a joué dans de nombreux films et pièces de théâtre qui marquent l’histoire du cinéma et du théâtre de notre pays. Et il se trouve que je l’ai découvert, ainsi que son épouse l’actrice Hélène Catzaras, d’abord, dans un autre beau film, Soleil des Hyènes  de Ridha Béhi qui fit l’événement de la session exceptionnelle des JCC en 1978.

Quand je me souviens de Sid’Ahmed, je vois quelques séquences mémorables de sa remarquable prestation d’amoureux, tendre et original dans Regaya/ Cœur Nomade de Fitouri Belhiba (Latif Production 1989), de ses apparitions de syndicaliste, militant et engagé dans Sejnane de Abdelatif Ben Ammar(Tanit d’argent du meilleur film aux JCC 74) ses virées en barque avec son épouse dans Soleil des Hyènes (JCC 78)et son incarnation juste et émouvante de militant dans les deux films.  Me vint alors le désir de rendre hommage à cet acteur formidable Ahmed Snoussi, par la double voix de son épouse Hélène Catzaras et la mienne en tant que regard porté sur ce couple de comédiens qui ont joué dans de nombreux films que j’aime tant et que les JCC (notamment par le biais des rétrospectives) m’ont fait découvrir.

Le film sera essentiellement porté par la voix off d’Hélène pour évoquer son mari – acteur, son rôle à elle, à lui, et leur expérience commune dans Soleil des Hyènes de Ridha Béhi en cette session des JCC qui permit enfin au film -au départ censuré- de rencontrer ses spectateurs tunisiens. Par petites bifurcations et brèves illustrations (quelques plans choisis avec précision), d’autres rôles et films importants (la majorité ont parties liées aux diverses sessions des JCC) seront évoqués pour étoffer cet hommage par son épouse à l’acteur et époux disparu mais également pour mieux « voyager » dans les dédales de la mémoire fertile des JCC et de notre cinéma.

Le film s’intitule Le temps qui passe…car loin d’être pédagogique ou informatif, il se veut évocation cinématographique d’artistes aimés, de films marquants, d’un temps révolu et d’une mémoire certes nostalgique mais poétique et intemporelle.

Je ne compte pas y inclure des photos et des posters mais plutôt, en plus de filmer la comédienne et de placer ses confidences en off sur des images d’elle, illustrer cette évocation par quelques extraits de films (principalement Soleil des Hyènes mais pas uniquement).

Le concept du film pourrait rejoindre l’idée du film « écologique » car c’est dans des lieux naturels que je compte la filmer : dans la terrasse de sa maison où elle contemple un jujubier centenaire et médite, au cimetière lors de sa visite et de son recueillement auprès de la tombe de son époux et à la mer, à proximité de la maison où elle vit désormais seule…

L’échange que je compte mener avec l’actrice portera sur ses souvenirs avec son époux- acteur, les rôles dans lesquels, elle souvient de lui avec émotion et estime, et le moment de consécration qu’a été la projection de leur film commun, Soleil des Hyènes, aux JCC en 1978. De cet échange, je ne garderai que des phrases économes, plutôt suggestives et évocatrices que je placerai ensuite en off sur ses déambulations dans les espaces susmentionnés et sur quelques extraits courts et muets notamment de films où on la voit, elle, dans la nature (à l’instar de L’ombre de la Terre de feu Taieb Louhichi, paix à son âme) et où on voit Feu Ahmed Snoussi, également dans des décors naturels et en amoureux irrésistible ( en écho à la longue histoire d’amour du couple) dans Cœur Nomade de Fitouri Bélhiba.

Ce choix de la nature est à la fois intuitif et justifié. Il est intuitif car la nature évoque à la fois la persistance de la vie et son éternel recommencement. Conçus comme des tableaux, ces images peuvent aisément rendre la métaphysique du temps et ce morceau d’éternité que l’on arrache à la mort. Il est justifié car il se trouve que Hélène aime la nature et s’y plaît : c’est un milieu qui rend bien sa personnalité, douce, peu bavarde et profonde. Et il est d’autant plus justifié que le film qui la réunit avec le grand acteur, feu Ahmed Snoussi, son défunt mari, est un film écologique : Soleil de Hyènes se passe dans un petit village de pêcheurs et raconte une époque de symbiose entre les habitants et leur milieu naturel avant que ce dernier ne soit ravagé par l’intrusion d’un capitalisme sans scrupules…D’ailleurs, au delà du discours engagé, pertinent et toujours actuel du film, deux choses essentielles m’attachent à ce long métrage : la beauté des espaces naturels filmés, la belle prestation de ce couple d’acteurs et la dignité avec laquelle sont représentés les pêcheurs.

De Sejnane (1976) à Cœur Nomade (1989) et en passant par Soleil des Hyènes (1978) et L’Ombre de la Terre (1982) c’est aussi une époque du cinéma tunisien qu’Hélène a connu et qu’elle évoquera lors de notre entretien. Une belle époque d’un certain cinéma tunisien engagé, en prise avec les problèmes sociétaux voire politiques mais sans renoncer à la poésie du cinéma et à la recherche d’une représentation et d’une expressivité authentiques… A cet égard, l’expérience commune du couple mais également l’expérience de chacun d’eux est exemplaire et émouvante. Sid’Ahmed pourrait même en être un indice voire une figure remarquable. Car de films en films, et à fortiori dans Soleil des Hyènes, c’est cette figure extraordinaire d’un homme engagé dans son milieu, son espace géographique et historique qu’a incarné cet acteur formidable …mais pas uniquement car cet engagement était subtil, nuancé et sans cesse troublé et troublant car traversé par autant de sentiments humains : l’amour, l’amitié, l’art et la mort. Son épouse, elle-même, actrice, est la mieux placée pour nous le dire avec cette émotion, cette retenue et cette fidélité à sa mémoire qu’elle ne cesse de lui témoigner.

J’espère porter sur cette évocation un regard tendre et distancé, faire un film visuel et économe en mots, montrer mais sans souligner, nommer quelques fois mais toujours sans restreindre l’interprétation, évoquer la mort mais sans en faire un horizon tragique…se souvenir pour mieux aimer, honorer la mémoire pour mieux continuer…

Je conçois ce film dans une forme éthérée et qui échappe à la pesanteur, retiré de toute agitation. Les extraits ne seront pas évoqués pour signifier, je les vois plutôt comme le reflet d’une galerie quasiment picturale, chargée de la présence des acteurs certes mais dans des paysages évanescents, des surfaces d’eau et de sable… Des plans aux couleurs désaturées qui restituent leur présence en célébrant les matières aquatiques, les nuances chromatiques et les transparences voilées. Des images d’extraits courts qui évoquent des bribes d’histoires, faîtes de fragments de souvenir et d’oubli. J’espère qu’elles laisseront entrevoir l’énigme de ce que Giorgio Agamben appelle une « intention endeuillée », ce deuil symbolique qui précède et anticipe la perte de tout objet réel.

L’actrice, Hélène Catzaras, je la filmerai comme une présence furtive, fugace, à peine esquissée…

Mais cette vision ne transporte pas pour autant un quelconque tragique. Les images seront comme allégées par une forme de douceur, une sorte de consentement à la perte. Un film, bien sûr, quelque part sentimental, un peu comme Christian Boltanski qui se réclamait d’un art sentimental même au risque de paraître «  ridiculement démodé » disait-il. Démodée, peut-être, mais pas démagogue car ce film fragmentaire, cela va de soi, permettrait à chacun de reconstituer sa propre histoire, sa propre fiction,  sentie, perçue selon ses propres souvenirs ou projections…

Le temps qui passe… / Petits Rappels sur les protagonistes et sur le film Soleil des Hyènes de Ridha Béhi (JCC 1978)

Ahmed Snoussi, né en 1946 au Sers et décédé le 20 Novembre 2015.

Il a fait des études théâtrales et a vécu à Paris avant de retourner en Tunisie. Comédien et dramaturge, il accomplit une grande carrière au théâtre et au cinéma. Parmi les nombreux films où il incarné des premiers rôles :  

 Sejnane et Le Chant de la Noria de Abdelatif Ben Ammar , Soleil des HyènesAli au pays des mirages (Ali fi bilad al sarab) d’Ahmed Rachidi, Le Grand Carnaval d’Alexandre Arcady, Le Prince de Mohamed Zran et un Si beau voyage de Khaled Ghorbel.

Hélène Catzaras, née en 1956 à Djerba. De parents grecs venus des îles, elle a fait des études secondaires à Tunis, avant de regagner Paris pour obtenir une maîtrise en Philosophie esthétique à la Sorbonne. Parallèlement, elle fait du théâtre avec le comédien Ahmed Snoussi qui devient son compagnon et le père de ses deux enfants.

Elle joue dans Soleil des Hyènes de Ridha Béhi et mène une longue carrière d’actrice dans des films tunisiens, à l’instar de L’Ombre de la Terre de Taieb Louhichi, Halfaouine de Férid Boughedir, Les Silences du Palais de Moufida Tlatli et étrangers dont The English Patient de Anthony Minghella.

Ridha Béhi

Né en 1947 à Kairouan, en Tunisie, Ridha Béhi a dans un premier temps été assistant à la télévision tunisienne. De 1969 à 1972, il écrivit et réalisa plusieurs courts métrages. En 1973, il obtint une maîtrise de sociologie à la faculté de Nanterre puis, en 1977, un doctorat à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes à Paris. Il réalisa en 1977 son premier long métrage, Soleil des Hyènes. Depuis, il a enchaîné avec de nombreux longs métrages dont Champagne Amer, Les Anges, La boite magique et Fleur d’Alep.  

Soleil des Hyènes est sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 1977. En 1978, précédé par une censure tenace, il crée l’événement à sa première projection en Tunisie aux JCC. En 1979, il obtient le grand prix au Festival de Damas et le Prix de la Vérité à la 6e session du FESPACO.

Dans un petit village de pêcheurs tunisiens qui vit en autarcie, des promoteurs allemands mettent en place une infrastructure hôtelière, avec la complicité des édiles locaux. La vie des villageois s’en trouve bouleversée.

Haj Ibrahim, homme riche, reçoit des financiers allemands et des notables locaux pour préparer l‘installation d’un complexe touristique.
Tahar (interprété par Ahmed Snoussi), pêcheur comme la majorité des habitants, refuse de travailler sur le chantier malgré sa pauvreté. La construction achevée, les touristes affluent, bouleversant la vie du village. Chacun quitte son travail traditionnel pour servir les touristes.

La société du petit village de pêcheurs est déstructurée. Haj Ibrahim s’enrichit encore, Tahar se dresse seul contre lui. Seule son épouse (interprétée par Hélène Catzaras), partage son combat.

Soleil des Hyènes se veut un regard critique sur le tourisme tel qu’il est pratiqué dans beaucoup de pays sous-développés. Conçu par et pour l’extérieur en raison de sa nature saisonnière et des modèles de consommation qu’il fait miroiter, le tourisme aide à répandre « l’occidental way of life » et précipite la destruction de la société traditionnelle : mentalité de larbin, ségrégation, corruption, prostitution, etc… Enfin, l’exploitation systémique de tous les beaux sites de ces pays transforme considérablement le paysage et même l’équilibre écologique de certaines régions, hypothéquant gravement l’avenir.

Le film dénonce la dépossession culturelle, les abus du pouvoir, les jeux d’influences, la prolétarisation… le réalisateur évalue ce qu’il en coûte, de son identité et de sa culture, à un pays qui préfère vendre aux étrangers, à coups de marketing et de publicité, sa terre et ses hommes plutôt que d’entreprendre d’indispensables réformes sociales.

mon portraitNon, je ne suis pas une cinéaste dans la cité. Je suis déplacée, ni incorporée, ni proscrite. J’ai choisi mon territoire, à moins qu’il m’est choisie : Inter, entre, une suite de bordures ou de plis. Je glisse, je dépérie, j’arpente les falaises, je porte la tête haute sur les épaules, je scrute les cieux, je m’oublie, ma mémoire est entre la blancheur de l’aube et la fermeté de la nuit.

Je n’ai rien appris, mes désirs me portent, me perdent, m’inventent, me réinventent. Mon ardeur est sans limites.

Parce qu’il y’a ma mère, il y a le récit. Elle me raconte des histoires, des paraboles, des allégories. Sa voix qui conte, qui chante comme une toute première mélodie.

Je n’aime pas la profession, ses circuits, ses savoir-faire, ses compétences, ses chiens de garde, ses –obligés et ses lobbys. Je la contourne, je fais avec, je m’absente, je glisse dans ses failles. Je n’attends rien d’elle, je ne suis ni arrogante, ni dédaigneuse, ni soucieuse d’y appartenir. Du coup, je suis juste à la bonne distance : tolérée.J’ai tout de même un pari : être soi, un autre de tous les autres et rencontrer autant d’altérités et elles sont nombreuses, hors des sondages, des cahiers de charges de la critique et de la réceptivité.Je continuerai à faire des films tant que ces inconnus continueront à les voir et à les faire vivre pour toutes les bonnes et les mauvaises raisons qui les concernent. Car de mon côté mon expression est d’abord une relation à moi-même et avec le monde comme totalité. Je ne peux me soucier d’un public en particulier.

Pourtant il m’importe de parler aux miens.

Et encore une fois, j’ai un pari. Non mieux encore une conviction : j’appartiens à cette terre, à ses oliviers et à ses palmeraies, à ses cimetières blanchis à la chaux et à ces cieux étoilés. Rien d’elle ne m’est étranger : ni ses blessures, ni les coups vaches de son histoire récente et ancienne, ni ses amours entêtées, ni la voix de son muezzin, ni ses chants bédouins, ni la gloire de ses femmes, la débâcle de ses hommes et leurs désirs assoiffés, barbares, mystiques, exaltés, brûlants et décevants.

Mon corps, imaginaire, vibre aux mêmes intensités climatiques, historiques, érotiques alors pourquoi je ne leur parlerai pas ?

Pourquoi me soucier d’ancrage culturel, d’identité alors que c’est dans cette même terre que sont plantées mes racines ?

Mais.

Je suis une fleur, je ne suis pas que racine et j’ai besoin d’air, de ciel et d’intempéries.

D’ailleurs, je vous parle, j’écris dans la langue de l’autre. C’est que depuis longtemps une sorte de distance me sépare de ma langue maternelle et plus encore de la langue arabe, médium qui ne cesse de me décevoir car si maternel soit-il, je le découvre de bout en bout complice ou alors sous l’emprise de la pensée conservatrice si ce n’est rétrograde ou archaïque. Alors sans méconnaitre ni mépriser la langue commune, je m’invente une parole et j’assume tous les risques, de l’entente et de la mésentente, de plaire et de déplaire. Disons que je m’abreuve à la même source sans forcément me désaltérer de la même façon : je m’autorise des transformations, des métamorphoses : je table sur la beauté originelle ou alors sur l’innocence du devenir.

Et j’ose espérer que mes films non seulement parlent et parleront aux miens –comme par une évidence enchantée- mais aussi au dehors, qu’ils toucheront et mobiliseront une écoute, un partage, une complicité –comme une rencontre miraculeuse et miraculée-

J’aime, notre dedans, les miens, notre cinéma, nos films, notre littérature, notre poésie. Et j’aime le dehors, les autres, leurs films, leurs pensées, leurs arts. Par le Dehors, je désigne l’Occident, par commodité, par facilité d’usage. Je ne suis pas dupe ; Par l’expérience, par le vécu je sais au moins deux petites choses : que la plus dure des altérités et celle du dedans et qu’il n’est pas un autre qui ne soit soi-même.

Nous nous posons en nous opposant à un autre du dedans ou du dehors. Mais ce que je convoite, ce que je désire, dans la vie et dans l’art, c’est la communion. En réalité, l’abolition de la différence entre soi et l’autre, inatteignable, asymptotique, c’est l’amour.

Oui l’amour.

Certes l’amour est l’une des notions les plus galvaudées (notamment dans la presse et les médias vulgaires), ça fait gnangnan, culcul mais c’est tout de même ce qui m’anime le mieux, ce qui nous anime, tous, le mieux.

Depuis que je me suis résolue à cette évidence, que je ne souffre plus d’aimer, que j’ai consenti à ce que ma seule option de vie soit esthétique, c’est à dire érotique, je ne me pose plus la question de mes droits et de mes devoirs ni de citoyenne, ni de cinéaste, ni d’enseignante : je travaille, je crée, j’apprends, je transmets, je vis, j’aime, je tombe, je me relève, je rêve et chaque jour, je retrouve la force de tout recommencer.

Pour dire les choses comme elles sont : à l’instar d’Alain Touraine, je suis passée à une vision centrée sur l’affirmation de ma vie personnelle.

Je cherche le sens de ma vie, plutôt que le sens du monde, car désormais j’ai pris conscience qu’une grande part de la vie se joue sur la scène privée, à l’écart des enjeux sociaux et que même du point de vue de la vie sociale elle-même, les valeurs privées sont en fin de compte plus importantes. Cette prise de conscience, je la dois à la Révolution quand j’ai vu des foules réclamer la liberté collective alors que pris séparément ces individualités n’étaient pas libres. Ceci consciemment je disais, mais plus encore, c’est de mon « naturel » qu’il s’agit, de mon tempérament : je suis, si concernée que je sois par le monde qui m’entoure, une solitaire, une singularité qui ne rechigne pas à expier le tribut de sa différence. Je me reconnais et me nie, me connais et m’invente et je continue à faire des films ou à écrire des romans pour explorer et construire « mon identité narrative ».

Ce qui me pousse à le faire, malgré les difficultés et l’adversité, avec et sans la complicité ou encore l’amitié – je vous épargne l’état des lieux d’une sphère artistique, intellectuelle et économique, corrompue comme le fruit rongé par le ver- c’est le Désir. Pas l’envie, pas l’inclination mais bien plus : une tension de l’être, un Manque qui régénère immanquablement un autre manque : celui de ne jamais cesser de voir l’Astre, cette lumière qui habite et hante la nuit. Oui, Desiderare en latin, c’est d’abord « cesser de voir l’astre », puis « déplorer l’absence » de quelque chose. Une étoile qui s’éteint ou qui disparaît, quelle importance, si nul désir ne la vise ou n’en est affecté ?

Je continuerai à créer et à enseigner tant que mon désir resterait vivace et qu’importe les aléas, les manquements ou l’inachèvement, il y a bien des altérités qui savant ce que le jour doit à la nuit.

 

 

 

 

Moustaches

Aziz Rouhou/ Narcisse de Sonia Chamkhi

 

Affiche A3 Narcisse

Synopsis : Hind, jeune comédienne de 30 ans, incarne le premier rôle dans une pièce théâtrale mise en scène par son mari Taoufik. La pièce s’inspire du vécu tragique de Hind et de son frère cadet, Mehdi, un célèbre chanteur homosexuel. Tous les deux ont été opprimés par leur frère aîné, jeune homme délinquant qui a versé dans l’intégrisme religieux.

Alors que Mehdi est tiraillé entre son amour clandestin et la perspective de se marier, Hind décide d’affronter son présent et de révéler les secrets enfouis du passé. Elle réalise que pour pouvoir vivre, elle se doit de rompre le cercle vicieux qui la maintenait prisonnière du ressentiment, de la frustration des autres et de leur violence.

 

l'homme du cépuscule 

                                                                                     Roman : L’exil est son royaume

                                                      Dans son deuxième ouvrage, L’Homme du crépuscule,                   Sonia Chamkhi marche sur les traces d’Iteb : un jeune Tunisien égaré en Europe et perdu chez lui.

L’homme du crépuscule, c’est Iteb, jeune Tunisien qui rejoint son père dans une ville du nord de l’Europe. Cet exil, il ne l’a jamais rêvé et pas vraiment choisi, il lui est imposé par sa mère, furieuse d’avoir été abandonnée par son mari. Elle lui envoie son fils qu’elle semble juger tout autant coupable de la faute paternelle. Difficile de commencer plus mal : Iteb est casé en pension, négligé par son père qui voudrait pourtant qu’il fasse une brillante carrière. Il n’en sera rien. Malgré un diplôme honorable, Iteb se retrouve gardien de parking, il arrive à peine à vivre. Son frère le rejoint et commence par brûler la vie par les deux bouts avant de sombrer dans la dépression, sans qu’Iteb puisse l’empêcher de plonger.

Racisme, pauvreté, égoïsme et indifférence des siens, Iteb s’avère incapable de trouver une place que personne ne lui fait. S’il tient, c’est grâce aux souvenirs sucrés de ses jeunes années tunisiennes : le soleil, la plage et son amour d’enfance, Leila. « Je veux retrouver ces temps-là, les coquillages sous nos pieds alors que nous courions sur le rivage, le chemin de sable qui nous menait, main dans la main, au vendeur de beignets de Kheireddine, les rires des enfants de notre âge qui nous taquinaient, qui pointaient leur index vers nous et nous demandaient : vous vous aimez ? (…) Ma nostalgie se déroulait à mes pieds »Malheureusement, les retours au pays ne se passent pas bien, la mère de Leila refuse qu’il épouse sa fille, alors que les contradictions et secrets de sa famille à lui éclatent au grand jour. Finalement, Iteb réalise qu’il n’a jamais connu que l’exil, même lorsqu’il était encore au pays. A cause de sa peau noire, des origines de son père, des mensonges tissés depuis des années et qui ont entravé les siens ; auprès même de sa propre mère dont l’affection est rare et pétrie par trop de non-dits.

 

Oum Kalsoum en bande son

L’écriture de Sonia Chamkhi, précise et sensuelle, raconte aussi bien la poisse de la solitude que la douceur du littoral, le froid mordant de l’Europe autant que les tourments et les angoisses d’un jeune homme perdu. La mélancolie qui accompagne le roman est entretenue par les refrains des chansons d’Oum Kalsoum. C’est par amour de la diva qu’Iteb apprend l’oud en autodidacte, l’instrument lui permettra de trouver une sorte de famille d’accueil dans un cabaret oriental de Bruxelles où il est « chanteur de l’aube et de seconde catégorie » pour une audience de « petites gens au parcours en lambeaux mais qui font du moment présent une philosophie de vie. Lorsqu’ils sont saouls, ils sont fragiles comme des enfants et ils s’émeuvent de la moindre note, de la plus humble des paroles ». C’est quand il se décide à affronter la vérité de ses origines, qu’Iteb se trouve finalement et peut s’inventer un destin.

Dans ces pages, il accroche aussi son histoire personnelle à la révolution tunisienne : « Je suis exilé et pauvre, j’ai laissé derrière moi un amour au goût de l’absolu et un pays entier où je n’avais pas ma place. Mais je suis également plus que cela. Mes racines ce sont mes désirs indomptables de vivre et mes rêves obstinés, je fais partie de cette minorité qui possède le privilège insensé d’être née pour les mener jusqu’au bout. Sans elle, le monde n’aurait ni poètes, ni musiciens, ni révolutionnaires, ni la moindre grandeur ». En 2008, Sonia Chamkhi publiait La Femme de l’aube, primé à plusieurs reprises. A travers l’histoire et les lettres de Leila, s’esquissait, en creux, un portrait de l’aimé absent, Iteb. Dans L’Homme du crépuscule, c’est l’absent qui prend la parole, forge des mots et livre les clés de sa propre histoire : un champ contre champ émouvant à plusieurs années d’intervalle.

Stéphanie Wenger  (Al-Ahram Hebdo du 27/3/2013

Sonia Chamkhi, L’Homme du crépuscule, Arabesques. Tunis, 2013